Séance plénière: Retour sur les amendements du règlement intérieur
Mercredi 27 Novembre 2013, l’assemblée nationale constituante a prévu de tenir une plénière pour amender de nouveau le règlement intérieur, suite aux changements opérés sur le texte le 04 Novembre 2013 et qui ont mené à la suspension des travaux du bloc d’Ettakatol ainsi que les élus précédemment retirés, en signe de contestation contre ces nouvelles dispositions, plus précisément les articles 36 et 79 qui ont fait baisser le quorum nécessaire pour la tenue d’une réunion du bureau de l’ANC et ont donné la possibilité à 109 élus de décider de la tenue d’une séance plénière ainsi que sa date et son ordre du jour sans l’accord du président ou du bureau.
La séance, prévue à 15h, a débuté dans un premier temps avec 30 minutes de retard, sous la présidence du deuxième vice président, Arbi Abid, qui a reporté la séance à 16h30 faute de quorum. La séance a été reprise après donc une heure sous la présidence de Mustapha Ben Jaafar qui a annoncé que cette plénière est dédiée à la révision du règlement intérieur et permettra de construire le consensus national. Mustapha Ben Jaafar a affirmé que tous les élus et partis, au-delà de leurs différences, ont le même but qui est de finir cette période difficile, de décider des dates des élections et de les réaliser. Il a insisté sur le fait que l’ANC est une revendication de la révolution qui œuvre pour le peuple et que c’est l’autorité suprême dans ce pays, mais que cette assemblée ne peut pas travailler en autarcie, sans se soucier de l’extérieur et de ce qui est revendiqué :
« Nous devons travailler ensemble et atteindre l’objectif d’une constitution consensuelle servant les objectifs de la révolution. Nous devons travailler sans les divisions, et nous sommes conscients des évènements de l’été dernier. Je veillerai à promouvoir le travail participatif et à atteindre les objectifs de la révolution. »
Suite au discours de la présidence, il y a eu tout d’abord une vérification des présences, et les travaux de la plénière ont alors débuté avec 176 élus présents, et ce chiffre avait atteint 192 tout au long de la séance.
Avant de commencer, l’élue Zohra Smida a demandé un point d’ordre qui lui a été accordé au début, mais son intervention était dans le but de parler des évènements de Gafsa et la présidence lui a rappelé que ce n’est pas un point d’ordre et qu’il y a l’article 89 à la fin de la séance pour ces interventions. Zohra Smida a continué de s’exprimer sur Gafsa et la présidence, n’arrivant pas à lui couper le micro à partir du boitier prévu à cet effet, a quitté la salle, en laissant la plénière sans président. Après quelques minutes d’incompréhension et un peu de tension au sein de la salle, Mustapha Ben Jaafar ainsi que Arbi Abid ont regagné la salle et la présidence a demandé à la commission d’entamer la lecture de son rapport relatif à l’amendement du règlement intérieur.
C’est la vice-présidente de la commission, Dalia Bebba, qui a pris la parole pour lire ce rapport, et lorsqu’elle a terminé, Azed Badi a pris la parole, en forme de point d’ordre, pour contester la campagne de dénigrement qu’il est entrain de subir au sein de l’ANC de la part de journalistes et de certains élus, et a demandé à la présidence de mener une enquête à cet effet. Suite à cette intervention, Imed Hammami prend la parole pour dire avoir entendu que le bureau de l’ANC avait décidé de mener une enquête sur les rumeurs de corruption de certains députés et qu’il trouve que ceci n’est pas des prérogatives du bureau selon le règlement intérieur et que celui qui accuse ces députés n’a qu’à porter plainte.
La parole est redonnée au président de la commission du règlement intérieur, Haythem Belgacem, qui remercie les membres de sa commission pour leur travail ces derniers jours. Il a déclaré que vu qu’il n’y a pas d’interventions des présidents de blocs, la commission va passer à exposer les articles à amender.
C’est alors que Samia Abbou et Azed Badi ont demandé la tenue d’un débat général pour commencer, chose que la présidence de l’assemblée a refusé en considérant que ce n’est pas un projet de loi. A son tour, Amor Chetoui a contesté le refus de débat général, et c’est Sahbi Atig qui a proposé comme solution que les présidents de blocs ou leurs représentants s’expriment sur les amendements, considérant que c’est une solution pour éviter la tension actuelle au sein de l’hémicycle.
A cela, Mustapha Ben Jaafar a répondu que l’article 92 du règlement intérieur consacre le droit des présidents de blocs de s’exprimer, réponse qui a été contestée par les élus du CPR et du mouvement Wafa, et c’est Mabrouk Hrizi qui prend la parole pour remercier Sahbi Atig pour la proposition d’exclusion qu’il vient de donner déclarant que ceux qui sont contre les amendements n’appartiennent pas à des blocs.
Samia Abbou est intervenue aussi pour déclarer que c’est encore un projet d’amendement et que de ce fait il y a lieu de tenir un débat général. Elle a ajouté que c’est ce qu’il faut, à moins que tout n’aie été décidé, et qu’il s’agit là d’une mascarade. Par la suite, Amor Chetoui a évoqué la question de la publication des amendements, et c’est Abderraouf Ayadi qui a considéré que les travaux d’aujourd’hui sont nuls du fait que les amendements n’ont pas été publiés au JORT, chose à laquelle Mustapha Ben Jaafar avait répondu que l’article 143 du règlement intérieur dispose que les amendements entrent en vigueur dès l’adoption par le vote en séance plénière. Quant à Tahar Hmila, il a demandé de quel droit une autorité extérieure à l’ANC dicte ses amendements sur les élus du peuple, en référence au dialogue national.
C’est Neji Gharsalli qui a déclaré que les anciens amendements sont entrés en vigueur, et que par conséquent il s’agit d’un nouveau projet qui nécessite un débat général, et c’est Nejib Hosni qui a demandé à la présidence de leur donner la possibilité de s’exprimer sur le projet. Au tour de Aymen Zouaghi, il a déclaré que l’article qui s’applique est le 88 bis du règlement intérieur qui dispose que soit votée la discussion ou pas du projet.
Par la suite, c’est Mouldi Zidi qui a demandé au président de la commission d’expliquer comment les amendements proposés par les élus ont été traités. Haythem Belgacem a répondu que pour la commission un amendement du règlement proposé par 10 élus est consulté obligatoirement, comme l’amendement de l’article 20 par exemple. Il a aussi expliqué que la commission peut proposer des amendements. Il a ajouté que, durant les réunions, il n’y a pas eu d’accord et que quand la proposition a été donnée, la commission l’a adopté comme étant sa proposition. Il a par ailleurs expliqué qu’il aurait été plus judicieux de donner la parole aux présidents des blocs et aux indépendants pour gagner du temps.
En donnant la parole à Habib Khedhr, ce dernier a déclaré que les anciens amendements sont valides vu qu’ils ont été adoptés par l’assemblée. Il a considéré qu’il est plus judicieux de permettre un débat général vu que c’est l’usage et que l’usage peut aussi faire foi. Imed Hammami est intervenu aussi pour faire référence à l’article 93 du règlement, comme base de la plénière d’aujourd’hui, et qui ne permet pas de débat général.
Au tour de Rabii Abdi, il a considéré que les élus qui se sont rétractés sur les amendements adoptés ne devraient pas avoir honte vu qu’ils ont fait plein de concessions au niveau de la constitution auparavant. Quant à Abderrazak Khallouli, il a expliqué que le règlement intérieur n’a pas le rang d’une loi, et que de ce fait, il n’y a pas lieu d’avoir un débat général.
Les interventions ont continué dans ce sens, et c’est Sahbi Atig qui a appelé le président à lever la séance vu que c’est l’heure de la prière, et afin de se mettre d’accord. Azed Badi a pris la parole par la suite pour faire référence à l’article 90 du règlement qui dispose la nécessité de passer par un débat général. Il a aussi fait référence à l’article 143 par rapport à la publication au JORT, et a déclaré qu’il y a un vice de forme. Il a par ailleurs considéré que la réunion tenue entre Mustapha Ben Jaafar et les présidents des blocs en dehors de l’ANC était un accord imposé aux autres. Il a demandé à Ben Jaafar de « remettre les clés » s’il est incapable de gérer la situation.
En prenant la parole, Mouldi Riahi a répondu aux accusations de Azed Badi, et a été interrompu par ce dernier, mais Mouldi Riahi lui a demandé de ne pas l’interrompre, que ce n’est pas une transaction comme il prétend vu que même Haythem Belgacem était présent. Il a aussi demandé la levée de la séance pour se mettre d’accord.
Après toutes ces interventions, Mustapha Ben Jaafar a déclaré que c’est lui qui préside la séance et qu’il tient à son interprétation de l’article 93 du règlement. Il a par la suite levé la séance et a demandé aux élus de proposer les noms à intervenir par la suite.
A la reprise, Mustapha Ben Jaafar a expliqué que les présidents des blocs ainsi que certains groupes s’exprimeront sur le sujet.
Mohamed Hamdi, président du bloc démocrate, s’est exprimé dans un premier temps sur l’intervention de Azed Badi plus tôt durant la plénière. Il a expliqué que l’utilisation du terme transaction est destiné à semer le trouble, considérant que c’est une tentative qui n’a pas lieu d’être et que les présidents de blocs ont le droit de se concerter dans des réunions formelles ou informelles, y compris à l’extérieur de l’ANC. Il a ajouté que le fait de voter sur le retrait des amendements votés le 04 Novembre est la chose à faire pour préserver le pays.
Amor Chetoui, représentant du bloc CPR, a tenu à féliciter Mustapha Ben Jaafar pour le record établi par l’ANC dans l’amendement d’un projet de loi en moins de 24 jours. Il a considéré que ce qui s’est passé est une violation du règlement et une négligence de la bonne gouvernance. Il a ajouté que le pouvoir du président de l’ANC ne saurait dépasser les pouvoirs de la majorité des élus, considérant que passer ces amendements est de la tyrannie.
Mouldi Riahi, président du bloc Ettakatol, est revenu sur la suspension des travaux de l’ANC en été et a déclaré que l’histoire démontrera que c’était le plus judicieux à faire à ce moment là. Il a insisté sur la nécessité de rétablir le dialogue national entre tous, que tous ont besoin des uns les autres dans cette épreuve. Il a expliqué que c’est dans ce cadre que s’inscrivent les amendements du règlement intérieur afin de ne pas décevoir les attentes du peuple. Il a aussi déclaré qu’il ne faut pas se perdre dans les détails et qu’il faut garder en tête les objectifs visés, et qu’il n’y a aucune entité qui est capable de dicter quoique ce soit à l’ANC. Il a ajouté que, pour Ettakatol, il faut protéger les prérogatives de l’ANC jusqu’à la fin de son mandat.
Abderraouf Ayedi, représentant du mouvement Wafa, est revenu sur les propos de Mohamed Hamdi et a déclaré, qu’à part transaction, d’autres termes ont été utilisés. Il a expliqué que le dialogue nécessite aussi la persuasion. Il a évoqué le rôle des ambassades étrangères dans les affaires de la Tunisie, déclarant qu’elles édictent leurs demandes. Il a ajouté que les amendements du 04 Novembre étaient nécessaires pour se protéger contre les situations de blocage. Il a par ailleurs demandé aux élus de trouver d’autres solutions plutôt que de passer par des feuilles de route. Il est aussi revenu sur l’assassinat du martyr Mohamed Brahmi et a déclaré que plusieurs parties ne veulent pas passer des élections.
Sahbi Atig, président du bloc Ennahdha, a déclaré que les amendements du 04 Novembre ont ralenti les travaux de l’ANC. Il a expliqué que son mouvement pourrait ignorer les demandes mais qu’il tient au consensus et à la légitimité consensuelle. Il a ajouté que le consensus est le fait de céder mutuellement, que son bloc a accepté difficilement de faire ces concessions, et que c’est là le fond même de l’esprit des accords et la volonté de faire participer tout le monde dans ce processus : « Nous voulons montrer, en tant que parti et en tant que bloc, que nous cherchons le consensus ».
Skander Bouallagui, représentant du courant de l’amour, a critiqué sans son intervention la décision de la suspension des travaux, qualifiant Ben Jaafar de pharaon et que ses décisions ont un caractère unilatéral ne représentant que sa personne. Il a enchainé en évoquant des agendas étrangers et une volonté de protéger les intérêts des hommes d’affaires qui participent même à ce qu’on appelle le dialogue national. Il a affirmé que l’assemblée représente et négocie avec des ambassades et qu’il n’y aucune garantie que les actes de suspension et de retrait ne se reproduisent plus. En s’adressant au peuple, il lui a déclaré qu’il ne décide plus de son sort mais que c’est l’UGTT qui décide pour lui, ainsi que les partis « zéro virgule ».
Salah Chouaieb, élu indépendant, s’est adressé à Mustapha Ben Jaafar en l’accusant de ne pas traiter tous les élus sur le même pied d’égalité, en référence à la prise de parole. Il a évoqué une volonté de se purifier en s’introduisant dans cette assemblée et en affirmant à ces personnes dont il parle que leur passé parle pour eux. Il a aussi demandé à la présidence de refuser le nom du bloc « souveraineté du peuple » parce que personne ne peut s’approprier cela :
« On était supposés commencer l’examen de la loi de finances pour l’année 2014, non pas amender encore et toujours le règlement intérieur. Les prérogatives de cette assemblée ont pris fin le 23 Octobre et ses missions sont maintenant l’adoption de la constitution et de la loi électorale. On est pas là pour rétablir les Habous mais pour adopter une constitution et une loi électorale ».
Hassan Radhouani, élu indépendant aussi, s’est exprimé pour dire qu’il faut collaborer avec le dialogue national mais rappeler la suprématie de l’ANC, en s’éloignant de la politique des ultimatums. Neji Gharsalli, autre élu indépendant, a rappelé les dispositions qui ont été amendées et les raisons de cette démarche. Il a expliqué la disposition selon laquelle 109 élus peuvent décider d’une plénière considérant que ces 109 peuvent destituer un gouvernement et donner leur confiance à un nouveau, pourquoi ne pas pouvoir décider d’une plénière dans ce cas. Quant à Tahar Hmila, élu indépendant, a critiqué cette démarche qui est d’amender de nouveau l’article 36 et 79, en déclarant qu’il y a une volonté de dépasser les prérogatives de l’ANC et prendre des ordres du dialogue national. Il a reproché à Mustapha Ben Jaafar de défendre maintenant les intérêts de l’opposition et non pas de l’assemblée. En s’adressant au bloc Ennahdha, il leur a dit qu’ils sont devenus esclaves de Beji Caied Essebsi et qu’il leur dicte quoi faire.
Khmais Ksila, représentant du mouvement Nidaa Tounes, a affirmé que le retrait a été une forme de militantisme lorsqu’il n’y avait plus de place aux discussions :
« Ceux qui étaient à la fontaine du Bardo étaient soutenus par des centaines de milliers de tunisiens »
Il a par la suite repris les processus qui ont été décidés lors du dialogue national, à savoir gouvernemental, électoral et constituant, et qui sont dans le but d’accélérer cette période de transition. Il a évoqué l’amendement du règlement intérieur qui s’est effectué le 04 Novembre en insistant qu’il fallait seulement amender l’article 106 :
« Aujourd’hui, le dialogue est bloqué, et cette plénière vise à corriger les fautes du 04 novembre. Il n’y a pas eu de concessions comme on entend, il y a eu une faute qui a été reconnue. »
L’intervention de Khmais Ksila a suscité les contestations au sein de la salle de la part de tout le monde, considérant que ces propos s’inscrivent dans une optique de provocation.
Suite à cela, Imed Hammami a demandé un point d’ordre pour rappeler que ce débat général n’est pas relatif au sujet, que la décision de revenir sur les amendements précédents a été prise avec amertume au sein du bloc Ennahdha : « On va voter ces amendements en espérant que les retirés vont reprendre leurs travaux dès demain au sein de la commission des consensus et celle du tri des candidatures relatives à l’ISIE ».
Le débat général ayant pris fin, il y a eu passage à la discussion article par article.
Concernant l’article 36, l’avis favorable a été exprimé par Ali Bechrifa qui a déclaré que vu que l’article est sujet de consensus entre les présidents de blocs, autant passer au vote directement. Pour l’avis défavorable, Mabrouk Hrizi a proposé de consulter l’amendement proposé par les élus avant celui de la commission. Il a considéré que cet amendement renvoie un signal d’instabilité au peuple et aux autres nations : « Sur le fond, les règlements intérieurs de par le monde consacre ce principe, sauf nous. Cet amendement porte atteinte au prestige de l’Etat, 3 personnes dictent l’avenir du pays ».
En passant au vote, l’amendement de l’article 36 a obtenu 107 voix pour, 9 abstentions et 44 voix contre.
Un amendement du même article a été proposé par des élus, et c’est Ikbel Msadaa qui a défendu l’avis favorable et Imed Hammami l’avis défavorable. Cette proposition a été rejetée au vote avec 52 voix pour, 22 abstentions et 92 contre.
Concernant l’amendement de la commission de l’article 79, il est passé au vote avec 102 voix pour, 10 abstentions et 45 voix contre. Il y a eu une autre proposition par des élus lors de la plénière et qui a été défendue par Samia Abbou qui a expliqué que le président ne peut pas statuer sur la motion de censure le concernant. Cette proposition ne passe pas non plus avec 52 voix pour, 15 abstentions et 94 voix contre.
Le vote sur l’article premier, comprenant les amendements des articles 36 et 79, a été effectué avec 105 voix pour, 8 abstentions et 49 voix contre. En passant à l’article 2 du projet, qui comprend l’amendement de l’article 20 du règlement, c’est Abderrazak Khallouli qui défendu l’avis favorable en expliquant que 48h après la présentation de la démission du bloc, elle devrait être acceptée implicitement sans attendre l’accord du président du bloc. Pour l’avis défavorable, Aymen Zouaghi a considéré que vu que la démission est acceptée de fait après 48h, il n’est pas nécessaire de passer par l’accord du président du bloc, qu’il vaudrait mieux enlever cette mention.
L’amendement de l’article 20 est passé avec 131 voix pour, 13 abstentions et 7 voix contre. Des élus ont proposé un amendement de l’article 39 du règlement mais la commission l’a refusé vu qu’il n’est pas à l’ordre du jour.
Il y a eu par la suite passage au vote sur l’article 2 dans son intégralité, comprenant donc l’amendement de l’article 20, qui est passé avec 123 voix pour, 11 abstentions et 7 voix contre.
Avant de lever la séance dans les environs de 22h, certains élus se sont exprimés en vertu de l’article 89 pour lever des questions relatives à leurs régions et des problèmes d’ordre national.