Séance plénière: Audition des ministres de la justice et des droits de l'Homme et de la justice transitionnelle concernant la torture
Mercredi 20 Novembre 2013, une séance plénière s’est déroulée à l’assemblée nationale constituante pour auditionner les ministres de l’intérieur, de la justice, et des droits de l’Homme et de la justice transitionnelle.
La séance prévue à 14h30 a commencé avec une heure de retard sous la présidence de Meherzia Labidi et en présence de 123 élus. Cette demande d’audition des membres du gouvernement fait suite aux plaintes d’un nombre de détenus dans des affaires de ce qu’on appelle terrorisme et les cas de torture. Les ministres qui étaient présents sont ceux de la justice et des droits de l’Homme et de la justice transitionnelle. Le ministre de l’intérieur s’est excusé pour des raisons de santé.
Tout d’abord, la présidente a annoncé le remplacement de l’élu défunt Mohamed Brahmi par l’élu Fadhel Saghraoui qui a prêté serment et a annoncé suite à cela la suspension de ses activités comme les élus de l’opposition, qui étaient réunis au même moment pour décider de la démarche à suivre par rapport à la conférence de presse du bloc Nahdha qui s’est déroulée durant la matinée et qui était relative à leur engagement à revenir sur les amendements du règlement intérieur.
Des points d’ordre ont été demandés au début de la séance. C’est Ikbel Msadaa qui a soulevé un point relatif au remplacement des cartes perdues, ce qui contraint les élus à voter à main levée. Quant à Aymen Zouaghi, il a évoqué la question du tourisme politique et a proposé son interdiction par la loi. Il a aussi proposé l’ouverture d’une enquête sur cette question. A son tour, Nejib Mrad a protesté contre certains propos émanant du dialogue national. Il a déclaré que ces propos sont insultants pour l’ANC et mettent en doute sa souveraineté: « Si l’ANC les dérange, ils n’ont qu’à aller boire l’eau de la mer morte ». Il a par ailleurs considéré que les consensus du dialogue national ne les engagent en rien et qu’ils seront refusés.
En passant à l’ordre du jour, la présidence a rappelé que la parole sera donnée aux élus pour poser leurs questions aux ministres avant de passer aux réponses de ces derniers.
C’est Haythem Belgacem qui intervient en premier pour évoquer deux cas de torture et d’arrestations abusives de personnes barbues. Il a déclaré que ces atteintes ne sont pas institutionnalisées mais voulues. Il a aussi expliqué que ces agissements ont pour but de réinstaurer la police politique.
Au tour de Jdidi Sboui, il est revenu par la même occasion sur les actes de torture et a présenté un cas d’atteinte à des personnes barbues aussi.
Quant à Abderraouf Ayedi, il a déclaré que ces dépassements ont lieu sous la cape de la lutte contre le terrorisme et a appuyer l’idée de dialoguer avec les parties qui sont soupçonnées de terrorisme plutôt que de réprimer systématiquement.
En donnant la parole à Fattoum Lassoued, elle a considéré que les dépassements qui ont eu lieu sont honteux et qu’il faut enquêter sur ces cas, et c’est Latifa Habachi qui est revenue par la suite sur des atteintes et des dépassements ayant touché des mineurs, des femmes et des avocats. Elle a par ailleurs posé une question sur le sort des plaintes déposées par les avocats pour signaler les cas de torture. Elle a aussi demandé l’application de la loi de façon équitable, comme l’avait demandé Fattoum Lassoued auparavant. Elle a enchainé en posant une question au ministre de la justice sur l’inexécution du mandat d’amener de Kamel Letaief.
Par la suite, c’est Samir Ben Amor qui a mis le point sur certains cas de torture qui se sont déroulés récemment. Il a commencé par évoquer le cas de la détention de l’avocat Slaheddine El Hajri, en passant au cas de Walid Denguir mort dans un post de police succombant à des blessures de torture. Il a aussi cité le cas d’anciens détenus à Guantanamo et aussi le cas du bloggueur Maher Zid. Dans son intervention, Samir Ben Amor a considéré que la dignité du tunisien est au dessus de toutes les priorités.
Neji Gharsalli a déclaré à son tour qu’il faut spécifier des garanties pour le citoyen vu que le suspect est présumé innocent jusqu’à preuve du contraire, et Bechir Nefzi a évoqué une attitude des deux poids deux mesures dans le comportement des forces de l’ordre avec les détenus.
La séance a été levée par la suite durant 30 minutes pour la prière et les interventions ont repris avec Mabrouk Hrizi qui est revenu sur l’absence du ministre de l’intérieur à cette audition en rappelant qu’il s’était déjà absenté pour la réunion de la commission législative des droits et des les libertés. Il s’est exprimé par la suite sur les conditions d’arrestations de personnes soupçonnées de terrorisme.
A son tour, Ali Houiji est revenu sur les violations des droits de l’Homme durant les arrestations. Il a insisté sur la nécessité de créer une fonction de responsable des droits de l’Homme dans les postes de police. Il a aussi proposé d’installer des caméras dans ces locaux. Il a terminé son intervention par un appel aux citoyens de rapporter les cas de tortures constatés car c’est le silence qui aide ce phénomène à prendre racines dans le quotidien.
Quant à Sahbi Atig, il a salué les efforts des forces de l’ordre qui travaillent d’arrache pied avec des moyens limités. Il a déclaré comprendre leur frustration et leur énervement mais que ça ne justifie pas ces traitements. Il a ainsi demandé des éclaircissements sur des cas de torture survenus récemment dans les postes de police et les centres de détention.
Mouldi Zidi a commencé son intervention par féliciter l’équipe nationale algérienne pour sa qualification à la coupe du monde de 2014. Il a par la suite considéré qu’il ne faut pas juger les suspects sur leur physique ou leur style vestimentaire. Il fait référence principalement au traitement subi par les détenus barbus.
Par la suite, Abderrazak Khallouli a déclaré que ce qui se vit aujourd’hui est un règlement de comptes entre les policiers et les terroristes, et Hichem Ben Jemaa a exposé des cas de torture ayant pris fait récemment. Il a cité les nomes des personnes torturées et de la manière avec laquelle ils ont été torturés. Il s’est alors posé la question concernant la formation des forces de sécurité et a évoqué une crainte de retour à un Etat policier, surtout que selon lui, certains partis de l’opposition soutiennent ces actes.
En donnant la parole à Samia Abbou, cette dernière a considéré que la torture est institutionnalisée mais que ce n’est pas le fait du gouvernement actuel, mais qu’il y a un gouvernement parallèle qui a toujours perpétré ça, et qu’il n’y a pas eu de gouvernement révolutionnaire depuis le 14 Janvier 2011. Elle est revenue sur le deux poids deux mesures dans l’appréhension des suspects et a évoqué le cas du mandat d’amener de Kamel Letaief comme exemple. Elle a par la suite posé une question relative au retrait de la force publique de devant le domicile de Kamel Letaief et a demandé qui a donné l’ordre de ce retrait et pourquoi est ce que le juge d’instruction en charge de ce dossier a été changé.
Au tour de Ferida Labidi, elle a posé une question au ministre de la justice sur la grève des magistrats et l’avancée des réformes au sein de cette profession. Ensuite, Souhir Dardouri a considéré étrange que la montée de la torture soit en même temps que la réapparition de figures de l’ancien régime. Elle s’est demandé s’il y a vraiment eu une révolution vu que ces figures là sont encore présentes. Elle est aussi revenue sur les propos du ministre de l’intérieur lors d’une plénière précédente par rapport au « Jihad Al Niqah » en déclarant que ces propos ont été démentis suite à plusieurs études et recherches faites à ce sujet. Elle a considéré que ces déclarations rentrent dans le cadre d’une campagne pour salir l’image de la Tunisie.
En avançant avec la liste des intervenants, Naoufel Ghribi a évoqué à son tour le cas de Kamel Letaief, le qualifiant de mascarade. Il s’est adressé aux ambassadeurs français et américain, qu’il considère comme les vrais parrains du dialogue national, pour les appeler à soutenir le peuple tunisien et la révolution.
A la fin des interventions des élus, la parole a été donnée aux ministres pour répondre aux questions.
Le premier à prendre la parole est le ministre des droits de l’Homme et de la justice transitionnelle, Samir Dilou, qui a considéré que la responsabilité est partagée entre gouvernement et assemblée constituante. Il a déclaré que quelques élus s’étaient intéressés aux problématiques de torture et que beaucoup n’ont pas cherché à avoir des informations.
Il est revenu sur l’affaire Walid Denguir, déplorant par ailleurs que certains élus considèrent qu’il y a eu torture sans vérification. Il s’est demandé comme les élus peuvent certifier qu’il y a eu torture sans avoir consulté le rapport médico-légal.
Par la suite, il est revenu sur la relation tendue entre le pouvoir exécutif et le pouvoir judiciaire. Dans ce sens, il a demandé aux élus s’ils pensent que l’exécutif a une emprise sur les affaires une fois déléguées au pouvoir judiciaire.
Dans son intervention, Samir Dilou a déclaré qu’il n’y a pas de prestige de l’Etat s’il n’y a pas de respect de la dignité humaine. Il a considéré qu’au moins 7 mois ont été perdus suite au retard pour voter le projet de loi sur la justice transitionnelle, considérant que tout un processus de réforme est nécessaire afin de ne plus avoir à faire face à ces dépassements.
Le ministre des droits de l’Homme et de la justice transitionnelle ayant terminé son intervention, la parole a été donnée au ministre de la justice, Nadhir Ben Ammou, qui a évoqué les mauvais traitements en prison et a expliqué que la première raison est la surcharge des prisons, notant que la capacité des prisons est de 18 000 détenus alors qu’ils sont 25 000, dont 13 000 en attente de procès. Il a considéré que c’est normal qu’il y ait des cas de maltraitance dans les prisons vu les conditions. Il a par ailleurs expliqué que ces cas ne sont pas exempts de poursuites judiciaires.
Il s’est exprimé par la suite sur les décès suspects et a expliqué que des investigations sont ouvertes de façon systématique à chaque cas de torture.
Arrivant aux descentes policières, le ministre de la justice a expliqué que ces descentes sont sujettes à une réglementation. Quant au respect de loi, il a précisé que la loi est respectée, et que si des lois déplaisent, il faut les amender.
Il a enchainé en disant qu’il y a en ce moment une crise de confiance entre tous, avant d’évoquer la question du mandat d’amener à laquelle il avait répondu que la présomption d’innocence ne tombe pas, précisant que le cas de Kamel Letaief n’est pas le premier. Il a expliqué que dans certains cas, des considérations d’ordre public peuvent empêcher l’exécution d’un mandat d’amener ainsi que des raisons de santé des fois. Pour Kamel Letaief, la condition d’urgence a été levée par le juge vu que le concerné s’est engagé à se présenter. Cette affirmation a provoqué une contestation de la part de plusieurs élus, considérant que c’est un refus d’obtempérer de la part du suspect. En réponse, Nadhir Ben Ammou a déclaré que si les élus n’acceptent pas la réponse, on se dirige ainsi vers une justice populaire.
En signe de protestation, des élus CPR ont quitté l’hémicycle, et le ministre est revenu sur la problématique de l’enseignement et la nécessité de sa réforme comme solution pour une bonne formation des juges. Il a considéré qu’il y a un manque et qu’il ne faut pas palier cela par le recrutement massif, insistant sur le fait que la formation des magistrats ne peut pas non plus être bâclée. Selon lui, la solution est de renforcer la profession des magistrats par des avocats et des universitaires expérimentés.
A la fin de l’intervention du ministre de la justice, la parole a été donnée à certains élus en vertu de l’article 89, et la séance a été levée à 20h50 après avoir informé la plénière de la tenue de réunions de deux commissions le lendemain, celle du règlement intérieur et celle de l’énergie et des secteurs de production.