Audition du ministre de la gouvernance et de lutte contre la corruption, le ministre des finances, le ministre de la justice, le gouverneur de la Banque Centrale, le président de la commission de confiscation des biens et le Président de l'instance nationale de lutte contre la corruption

Jeudi 23 mai 2013

Nous avons assisté, Jeudi 23 Mai 2013, à l'audition du Ministre de la gouvernance et de lutte contre la corruption - Ministre des finances - Ministre de la justice - Gouverneur de la Banque Centrale - Président de la commission de confiscation des biens et le Président de l'instance nationale de lutte contre la corruption au sein de la commission de la réforme administrative et de la lutte contre la corruption.

Le président de la commission, Slaheddine Zahaf, a annoncé le programme de l’audition et a donné la parole au gouverneur de la BCT. Ce dernier avait parlé d’une commission responsable de récupérer les avoirs évadés à l'étranger dont il est le président et avait dressé dresse le bilan des avoirs récupérés : Deux yachts récupérés, un d'Italie, un autre d'Espagne. Aussi, parmi les avoirs récupérés, la somme de 28 millions de dollars, d'un compte en banque au liban, appartenant à Leila Trabelsi.

Il a aussi précisé que la récupération des avoirs prend du temps, parce que nous faisons face à des systèmes juridiques démocratiques, et qu’il est difficile de traquer les sommes évadées pour avoir le chiffre exacte.

Le gouverneur de la BCT a avoué avoir des difficultés à traiter avec la Suisse, mais que maintenant, la situation est entrain de s’améliorer, en ajoutant que le deuxième pays avec lequel nous traitons est la France et qu’il y avait des difficultés au début aussi mais que les choses avancent petit à petit dans le processus de traçage des biens. Il a aussi mentionné le Canada où il a été découvert une société canadienne qui traitait avec Sakhr El Matri et Slim Chiboub par le biais de commissions. Cette société est maintenant objet de surveillance des autorités et de la justice canadienne. Quant aux payx du Golfe, le gouverneur a affirmé que des investigations son menées, notamment à Dubai.

Il a enchainé avec les abandons de créances qui sont des abandons légaux, dans le sens où une banque abandonne une créance pesant sur une société, et la BCT s’intéresse à ce sujet parce que plusieurs personnes ont profité de l’abandon de créances de façon illégale. Cet abandon peut être décidé au sein d'un conseil ministériel, ou peut avoir lieu sans trace, c'est là que c'est illégal, et la BCT traque ces abandons de créances n'obéissant pas aux conditions légales.

La parole a été ensuite donnée au ministre des finances qui a exposé le travail des commissions affiliées à son ministère à cet effet. Il a aussi expliqué le sort réservé aux sociétés récupérées : vente ou refonte.

Il a aussi expliqué que le ministère n'avait pas les moyens au début de s'occuper des dossiers qui lui étaient présentés et que la commission de confiscation transmet les dossiers à la commission de gestion, de même pour la commission des avoirs.

Il a par la suite dressé l’état des avoirs récupérés entre sommes au palais de Sidi Dhrif, sommes dans les ambassades à l'étranger, en expliquant que les dividendes des sociétés récupérés et qui enregistrent un bénéfice sont récupérées, ainsi que plusieurs biens meubles. Il a expliqué le fonctionnement de CDC et Karama Holding et a parlé des résultats de la vente aux enchères déjà réalisée.

Au tour du ministre de la justice, il a expliqué que nous vivons pour la première fois cette expérience de récupération des avoirs. De ce fait, il n'y avait pas réellement de système prévu, mais nous sommes en train d'évoluer dans ce sens, et nous avons déjà évolué. Il expose les différents niveaux d’intervention : celle du système judiciaire, du ministère de la justice et de la cellule de récupération qui coordonne.

Le ministre a aussi expliqué comment se fait la coordination avec les Etats étrangers en précisant que le travail de récupération des avoirs se fait aussi bien à l’intérieur qu’à l’extérieur.

Ensuite, le président de la commission de confiscation des biens a pris la parole et a commencé par énumérer les biens confisqués. Il a expliqué que, plus ils avancent dans leur travail, plus ils trouvent de nouveaux avoirs à confisquer. Il a par ailleurs considéré que certaines personnes dans la liste des 114 n’ont rien volé au peuple et que leurs noms figurent sur la liste en raison des responsabilités qu’ils ont eu.

A son tour, le président de la commission nationale de lutte contre la corruption a appelé à la nécessité de travailler en partenariat, pour arriver à tout cerner.

La séance a été levée pendant 10 minutes et a été reprise avec le rapporteur de la commission de la réforme administrative et de la lutte contre la corruption, Nejib Mrad, qui a considéré que la corruption existe encore après la révolution et qu’elle a changé de visage.

La parole a été ensuite donnée au vice président de la commission, Abderraouf Ayedi, qui a considéré qu’il n’y a pas de volonté politique pour lutter contre les malversations et que la corruption continue encore, en citant des exemples de versements retirés des systèmes bancaires. Il a aussi parlé de la corruption au sein de l’administration qui ne fait pas partie des sujets traités et a considéré que la récupération des biens mal acquis éviterait l’endettement. Il a ajouté que le peuple et la révolution ont été trahis en ne luttant pas contre la corruption, en pointant du doigt des parties étrangères qui, selon lui, sont derrière la corruption.

En prenant la parole, l’élu Kamel Ben Amara (Nahdha) a considéré que ce n’était pas sérieux que l'instance nationale de lutte contre la corruption ne se soit réunie que deux fois depuis sa création en 2012, en qualifiant cela de manque de volonté. Il a aussi dit que depuis l’ancien gouvernement, n'avoir déclaré que 79 juges comme corrompus est un faible chiffre, et qu'il faut œuvrer pour lever le voile sur les juges corrompus qui restent, en pensant lui aussi qu’il n’y a pas de volonté politique pour lutter contre la corruption. Il a aussi déclaré le dépôt d’un projet de loi « D’où as-tu obtenu ça ? » afin de lever le voile sur l’acquisition frauduleuse des biens.

Au tour de l’élu Mohamed Taher Ilahi (Liberté et Dignité) de prendre la parole pour appeler à la vérification minutieuse des choix des personnes constituant les cellules de lutte contre la corruption dans les régions, en demandant si le faible rendement est du au nombre trop grand des commissions ou la défaillance de la qualification des agents. Il a aussi demandé quel est l’intérêt de geler les avoirs de certains hommes d’affaires et les interdire de voyager.

La parole est ensuite donnée à l’élue Mouna Ben Nasr (aucun groupe) qui a considéré qu’il y a une avancée dans le travail de la commission de confiscation mais que pour la commission de gestion, selon les chiffres donnés, il n'y a pas de réel changement, et l’élue Monia Gasri (Nahdha) a trouvé que l’ANC n’est pas entrain de faire le suivi du travail de ces commissions, avant que l’élu Hedi Ben Braham (Nahdha) ne soulève un point relatif à un réel problème de coordination entre les différentes commissions. Il a estimé qu’il faudrait une base de données électronique qui ferait en sorte que toutes les commissions partagent les informations et soient à jour quant à l'avancée du travail de chacune.

Après les interventions des élus, le ministre de la justice a repris la parole pour répondre et dire que pour parler de la coordination entre les commissions, il fallait le prévoir à l'ordre du jour de la réunion. Pour ce qui est de la lutte contre la corruption, c'est une des priorités de son ministère, et il faut faire la différence entre la récupération des avoirs et la lutte contre la corruption.

Selon le ministre, il faut mettre en place une stratégie de démantèlement de la corruption mais que les lois ne suffisent pas, et de ce fait, qu’il faut changer les mentalités. Toujours selon lui, afin de réformer un système corrompu, il faut commencer par réformer l’éducation à la racine.

Pour ce qui est du pôle judiciaire, il affirme que son ministère est entrain de mettre les derniers préparatifs du projet de loi qui sera soumis à l’ANC et qui améliorera son rendement et sa performance.

La parole est ensuite au ministre des finances qui déclare qu’il n’y a aucun rapport entre le travail de la commission de confiscation, et celui de la commission de gestion, donc il n'y a aucun lieu de comparer entre le travail des deux commissions, en raison de la différence fondamentale de but, tout en ajoutant : « Nous sommes en train de mettre les bases pour améliorer le rendement de ses commissions, et pour conserver l'importance de ses sociétés confisquées, c'est un nouveau domaine en Tunisie, et nous opérons tel un médecin en guerre. »

Pour ce qui est de la douane, le ministre a affirmé qu’il y avait une possibilité de prendre des décisions révolutionnaires au lendemain de la révolution mais que c’est le chemin de la réforme qui a été préféré et emprunté, en insistant que la volonté de réformer les institutions de l’Etat est là.

Au tour du gouverneur de la BCT de répondre, il a rappelé les élus de les aviser s’ils ont connaissance de choses dont la BCT n’est pas au courant. Concernant les dettes carbonisées, il a affirmé que la moitié est encore en contentieux, d’autres bénéficient de garanties, c'est-à-dire que la possibilité de les récupérer existe, et qu’il y a toujours espoir en cela.

Le gouverneur a déclaré que, légalement, il ne peut pas donner une liste nominative des concernés par ces dettes : « Si la loi ne vous convient pas, changez-la, mais à cet instant, je ne peux pas vous communiquer les données personnelles des concernés et entrer dans l’illégalité. »

Il ajoute qu’il est impossible de communiquer une liste exhaustive des avoirs à l’étranger, parce que les recherches sont toujours en cours et que tout n’a pas été trouvé : « Ce que nous avons trouvé est la partie émergée de l’iceberg. »

Le chef de cabinet du ministre de la gouvernance et la lutte contre la corruption a aussi pris la parole pour parler des limites qu’il y a pour lutter contre la corruption et a déclaré que nous n’avons pas l’expertise requise pour lutter contre ça, que nous sommes en cours d’apprentissage. Il a aussi ajouté que les experts nationaux n'ont pas les compétences requises pour lutter contre la corruption, il faut du temps pour apprendre, et que l’administration bloque cette lutte, et de ce fait, il faut que l’ANC aide à vaincre ce blocage.

La parole a été enfin donnée au président de la commission de confiscation des biens avant de lever la séance d’audition à 20h.