Audition du ministre des droits de l'Homme et de la justice transitionnelle concernant le projet de loi sur la justice transitionnelle
Jeudi 30 Mai 2013, 3 commissions ont auditionné le ministre des droits de l’Homme et de la justice transitionnelle et la commission technique ayant travaillé sur le projet de loi. La réunion a débuté vers 15h45 en présence des membres de la commission de législation générale, la commission des droits, des libertés et des relations extérieures, et la commission des martyrs et blessés de la révolution et de l’amnistie générale. Il est à noter que la vice présidente de l’ANC était aussi présente à cette réunion.
En prenant la parole, le ministre a déclaré que sa présence, ainsi que celle de la commission technique, est dans le but d’expliquer les choix effectués au niveau du projet de loi, afin que les commissions puissent avoir un idée sur le processus de rédaction, et décider par la suite, ce qu'il faudra adopter. Il a fait une analogie entre la constitution et le projet de loi sur la justice transitionnelle en disant qu'il faut rédiger les deux en prenant en compte qu'ils s'adressent et s'appliquent à tout le peuple, et non pas à une majorité électorale.
La présidente de la commission des droits, des libertés et des relations extérieures, Souad Abderrahim, a ensuite pris la parole pour exposer certains points incohérents au sein de l’article 46 et relatifs aux compétences du comité de la vérité et de la dignité.
A son tour, l’élue Yamina Zoghlami (Nahdha) a demandé si ce projet de loi garantira la non récidive des violations des droits de l’Homme.
Quant à l’élue Hajer Azaiez (Nahdha), elle parlé de l’article 3 relatif aux violations graves et préméditées en demandant quel serait le critère pour considérer une violation comme étant grave et préméditée, et a aussi posé une question par rapport à la liste limitative des violations dans l’article 8 en proposant de lever la limitation de cette liste et en justifiant cette proposition par le fait que certaines parties pourraient se sentir lésées en ne voyant pas les violations qu’elles ont subi au sein de cette liste. Elle s’est ensuite attardée sur l’article 36 relatif à l’immunité du président du comité de la vérité et de la dignité au niveau de l’instruction et qui pourrait avoir comme conséquences la prescription de certains délits avec le temps.
L’élu Mohamed Gahbich (Bloc démocrate) a posé une question relative à l’article 44 sur la nature de la caisse de réparation (fonds de concours ou fonds spécial) et sur l’indépendance de cette caisse du comité ou pas.
L’élu Amel Ghouil (Nahdha) a évoqué l’article 43 qui, selon elle, donne de très larges prérogatives au comité, en qualifiant l’article de dangereux et en demandant quelles seraient les limitations prévues à ces prérogatives. Quant à l’article 44, elle a considéré que la formulation suppose que la réparation ne se fera que pour les violations causées par l’Etat, ce qui exclut une partie des victimes de violations causées par exemple par les proches du président déchu ne faisant pas partie des organes étatiques.
En reprenant la parole, le ministre des Droits de l’Homme et de la justice transitionnelle a affirmé que la question des juridictions spécialisées a été écartée car elle prendrait énormément de temps pour leur mise en place. L’usage des juridictions est, selon lui, une nécessité : « Il n’y a pas que des juges vertueux, mais il faut essayer de travailler avec ce qu’il y a de mieux. »
Pour ce qui est de la question de l’immunité du comité, le ministre a précisé que le but n’est pas de rendre ses membres intouchables mais de leur permettre de ne pas être entravés dans leurs fonctions, sauf en cas de flagrance. Il a aussi expliqué que la levée de l’immunité est décidée par le comité lui-même pour justement éviter les fausses accusations.
En revenant sur l’expression « violations graves », le ministre a considéré que ces violations font partie de la littérature relative à la justice transitionnelle. Ainsi, la liste nominative des 5 violations graves fait partie de la philosophie de la justice transitionnelle, mais les violations qui n’en font pas partie ne seront pas non punissables : « C’est un texte spécial mais la juridiction normale s’occupera du reste. »
Concernant les violations perpétrées par d’autres personnes que l’Etat, il a confirmé que ce n’est pas à l’Etat de réparer.
Pour ce qui est de l'article 43, par rapport aux documents qui pourraient porter atteinte à la défense nationale, le ministre a considéré que la lecture est simple : Le ministère donne un résumé, si le comité n'est pas convaincue par le caractère secret du document, ils sont en droit de le demander, et le ministère doit s'exécuter et donner le document au comité.
La parole a été ensuite donnée à l’un des membres de la commission technique, Wahid Ferchichi, qui a affirmé que les prérogatives du comité reviennent au comité dans son intégralité. A propos de l’article 8, il a déclaré que considérer la liste comme étant limitative est une bonne chose pour décharger le comité de plusieurs dossiers en rajoutant que, si c’est une liste exhaustive, il faudrait quand même énoncer ces violations.
Concernant les recommandations qui seront formulées par le comité, un autre membre de la commission technique a précisé que ces recommandations seront soumises à une instance supérieure, probablement constitutionnelle, afin de les mettre en œuvre, et Wahid Ferchichi a affirmé qu’il s’agit de recommandations formulées à la fin du travail du comité, soit après 5 ans, et que les recommandations formulées pendant son travail seraient exécutées par lui-même.
Pour ce qui est de la question de l’immunité, il a été expliqué que la formulation a été en partie copiée sur l'immunité accordée aux magistrats, parce que le comité de la vérité et de la dignité est une commission semi-judiciaire, et pour ce qui est de l’indemnisation, il a été affirmé que le comité fixe les modalités de réparations mais n’effectue pas les réparations en question. De ce fait, la caisse de réparation est indépendante par rapport au comité de la vérité et de la dignité.
Avec le retour aux questions des élus, l’élue Baya Jaouadi (Nahdha) a posé une question relative à la date à partir de laquelle la justice transitionnelle prend effet et évoque une certaine ressemblance entre l'article 41 et l'article 43, et l’élue Rim Mahjoub (Bloc démocrate) a posé une question relative aux choix des magistrats pour statuer sur les dossiers de violations, en évoquant aussi l’article 39 qui, selon elle, ne contient pas les modalités de démission du président du comité.
Quant à la présidente de la commission de la législation générale, Kalthoum Badreddine (Nahdha), elle a parlé des recommandations relatives à la réforme ainsi que l’examen et l’assainissement de l’administration, et a demandé relativement à l’article 46 si attendre 5 ans pour donner des recommandations relatives à ce sujet n’est pas trop tardif.
A son tour, l’élu Selim Ben Abdessalem (Bloc démocrate) a évoqué la question du recours en cas de refus de la candidature pour le comité et a aussi posé une question relative à l’immunité (absolue ou relative) en considérant que le choix d’une immunité absolue est le meilleur choix à condition d’avoir des mécanismes pour lever cette immunité.
En reprenant la parole, le ministre a précisé que le choix de la date d’application des violations (20 Mars 1956 dans le projet et le 1er Juin 1955 initialement) ne s’est pas fait de façon hasardeuse mais que c’est un choix ouvert. De ce fait, les élus sont libres de choisir la date qui leur convient, à condition que la date choisie soit bien argumentée. Ce qu'il faut retenir c'est que la date de départ ne veut pas dire la date du début des violations mais la date prise en compte.
Il a ensuite ajouté que les mesures prises seront exceptionnelles compte tenu des faits exceptionnels. Hormis ça, les textes de lois en vigueur seront appliqués tant que le cas n’est pas prévu par le texte spécial.
« Les victimes ne peuvent pas être au sein du comité car ils seraient juges et partis, et ça refléterait l'avis des victimes seulement, alors que les bourreaux sont aussi des acteurs à part entière dans le mécanisme de la justice transitionnelle. »
Par rapport à la question de la limite d'âge, le ministre a déclaré qu’il ne faut pas que le but derrière cette revendication verse dans le populisme : « Il ne s'agit pas seulement de compétence, c'est aussi une question d'expérience, une expérience que les jeunes n'ont pas. »
Par la suite, concernant l’immunité, celle du membre du comité ne saurait, selon le ministre, être supérieure à celle du magistrat, en déclarant être contre une immunité absolue pour les membres du comité. Il a aussi rajouté que la plainte peut être de mauvaise foi mais si elle est instruite, c’est l’Etat qui le devient, et ça, ça serait regrettable.
En réponse à la question de l’approche participative qui a animé les débats durant les réunions précédentes, un membre de la commission technique a affirmé que c’est des critères de la bonne gouvernance. En effet, cette approche ferait en sorte que le comité puisse se référer aux travaux d’autres commissions et permettrait de faire participer les acteurs de la justice transitionnelle, à savoir les victimes et les bourreaux.
L’élue Yamina Zoghlami (Nahdha) est intervenue plus tard en déplorant le fait que les élus n’ont pas eu le temps de s’intéresser au droit comparé par rapport à ce sujet et s’est demandée si ce projet de loi aura une certaine spécificité nationale ou pas. Elle est aussi revenue sur les violations graves et institutionnalisées en citant l’exemple du décret N°108.
Le ministre n’a pas manqué l’occasion de dire qu’il faut travailler avec les moyens du bord, que si tous les secteurs avaient été assainis, le travail du comité aurait été plus simple, mais que pour le moment il faut essayer de réaliser le meilleur projet de loi possible en choisissant les meilleurs éléments. Il a clôturé son intervention en affirmant que tout ce qui est susceptible d’amélioré le projet sera pris en compte.
Finalement, la réunion s’est terminée à 19h20.
Vous pouvez consulter le projet de loi en question en suivant ce lien sur marsad.tn :