Examen du projet de loi sur la justice transitionnelle en commission

Mercredi 22 mai 2013

Mercredi 22 Mai 2013, la commission législative de la législation générale au sein de l’ANC s’est réunie à 11h, conjointement avec la commission des droits, des libertés et des relations extérieures, pour poursuivre l’examen du projet de loi portant organisation de la justice transitionnelle.

Le débat s’est attardé sur l’article 23 du projet relatif aux personnes interdites de faire partie du comité de la vérité et la dignité. En effet, l’élu Skander Bouallagui (aucun groupe) a considéré, concernant le 4ème point de cet article, que c’est insensé d'exclure des personnes qui ont servi l'Etat, et au contraire, protéger les personnes qui lui portent atteinte, en donnant l’exemple des terroristes. L’élu Khalid Belhaj (Nahdha) a précisé que le but de l’exclusion, c'est la neutralité, et non la punition, car ces personnes peuvent faire l'objet de plaintes, de ce fait, il vaut mieux les exclure pour préserver la neutralité du comité. Au tour de l’élu Karim Krifa (aucun groupe), il a proposé de rajouter « toute personne dont les relations avec le RCD ont été prouvées », en considérant que les personnes qui ont collaboré avec le RCD n'ont pas le droit de participer à "écrire l'histoire". En réponse à cette proposition, l’élu Samir Ben Amor (CPR) a considéré qu’il serait plus judicieux de collaborer avec la police politique et non la collaboration dans son sens large avec le RCD, et l’élu Neji Jmal (Nahdha) a considéré que l’utilisation du terme « RCD » est restrictive et qu’il faudrait plutôt changer ça par « le parti au pouvoir », alors que les présents lui font remarquer que a été mentionné au 2ème point déjà. Quant à l’élu Mohamed Gahbich (Bloc démocrate), il a considéré qu’il serait plus judicieux d'adopter les mêmes conditions adoptées au sein de la loi sur l'ISIE, et aussi la loi sur l'instance provisoire de la justice judiciaire, en vue d'uniformiser les termes utilisés, et finalement, l’élu Rafik Tlili (Wafa) a déclaré que se tenir à la date des élections de 2014, par rapport à la liste de plébiscite de Ben Ali, exclut ceux qui l'ont fait avant, en considérant qu’il faut rajouter ceux qui ont orchestré la révision constitutionnelle de 2002.

En passant à l’article 24 relatif au choix des membres du comité de la vérité et de la dignité par une commission de l’ANC, les élus ont débattu concernant les modalités de vote pour composer le comité : Deux tiers ou majorité absolue et la différence d’âge en cas d’égalité des voix (le plus âgé selon le texte actuel, le plus jeune selon certains élus). Les deux idées principales relatives à cet article ont été la nomination des membres par le président de la République ou bien par un vote au sein de l’ANC, et la deuxième idée relativement à ce vote, sure une liste préparée par une commission de tri ou par une commission  des présidents de blocs de l’ANC.

Pour l’article 25 relatif à une déclaration d’honneur sur la véracité des informations présentées par le candidat, les discussions entre les élus se sont concentrées sur la punition à prévoir quand les informations données sont fausses.

La séance a été levée ensuite pour rependre à 15h avec une audition d’un expert international en matière de dédommagements, qui se fera avec la commission des martyrs et blessés de la révolution et de l’amnistie générale. L’expert en question est Monsieur Ruben Carranza qui vient des Philippines.

Ruben Carranza

Au début de la réunion, l’expert a exposé les points sur lesquels va porter sa présentation, en demandant 10 minutes de parole avant de passer aux questions.

Il a affirmé que plusieurs gouvernements, plusieurs associations et plusieurs activistes des droits de l'Homme demandent ce qui a été fait en matière de dédommagement en Tunisie, et qu’il répond qu'il faut se référer au droit international. Concernant les victimes de violations de droits de l’Homme, il a dit qu’ils ont le droit au dédommagement.

« Ce n’est pas de la charité, c’est un droit. C’est un droit à toute victime sans distinction de race, de croyance ou d'opinion politique. »

L’expert a insisté sur le fait que le dédommagement ne saurait réparer le dommage créé. Quand il s'agit de vie humaine, il est impossible de la remplacer. Il a ensuite fait la différence entre les dédommagements urgents et les dédommagements « compréhensifs ». Il donné l’exemple du gouvernement du Timor-Est et celui de l’Afrique du Sud qui ont accordé des dédommagements urgents alors que les commissions travaillaient encore sur les dossiers de dédommagements. Pour résumer, l'expert a expliqué que les dédommagements urgents concernent des cas extrêmes où les victimes ne peuvent plus subvenir à leurs propres besoins en raison de leurs âges ou leurs conditions physiques, et que la différence entre les deux types de réparation réside dans le nombre de personnes concernées par ces réparations.

Selon l’expert, le rôle du comité de la vérité et de la dignité est de poser les bases de la réparation intégrale, et son premier rôle serait d’identifier les types de violations des droits de l’Homme. Il a ajouté que le processus de la recherche de la vérité est déjà assez complexe, alors lui rajouter un rôle administratif de distribution des réparations compliquerait encore plus le travail du comité. Il aussi expliqué pourquoi le comité doit être séparé de l’institution responsable des réparations. En effet, son travail ne dépasse pas généralement les deux ans alors que l’organe de réparation peut durer plus, donc la durée pour révéler la vérité peut atteindre les deux ans alors que le programme de réparation peut durer jusqu'à cinq ans.

Ensuite, l’expert a précisé qu’il y a des réparations symboliques comme les excuses officielles et des réparations matérielles, et que ces réparations doivent émaner du budget de l’Etat. Il y a aussi la possibilité d'effectuer la réparation en utilisant les sommes évadées et récupérées par l'Etat. Cette possibilité a été utilisé aux philippines, en utilisant les sommes récupérées de la famille Marcos, pour dédommager les victimes. Il a même participé à l’élaboration du projet de loi adopté pour créer un fond de réparation pour les victimes fonds estimé à 200 millions de dollars, issu de l'argent récupéré auprès de la famille Marcos. Selon lui, l’argent récupéré du Liban par exemple peut être utilisé pour dédommager les victimes.

La séance a été levée pendant 10 minutes pour la prière et a repris avec les questions des élus à l’expert. L’élu Selim Ben Abdessalem (Bloc démocrate) a demandé s’il est judicieux de procéder à la réparation pour les victimes et entamer des réformes sociales en même temps et l’élu Kamel Saadaoui (aucun groupe) a demandé comment le gouvernement tunisien pourrait utiliser la loi évoquée tout à l’heure par l’expert pour récupérer l’argent évadé de la Tunisie et l’utiliser par la suite pour la réparation.

L’expert a répondu en disant que le but de la réparation ne peut pas être de récompenser les gagnants suite à la chute d'un régime et que le dédommagement ne peut pas être un motif de division. En réponse à la question de Selim Ben Abdessalem, il a déclaré qu’il est effectivement possible de procéder à des réparations en effectuant des réformes du système sanitaire par exemple, en citant l’exemple de la Sierra Leone.

L'expert a aussi donné l'exemple du Pérou où une partie des sommes évadés d'Alberto Fujimori ont servi à la réparation pour les victimes et effectuer des réformes institutionnelles. Il y a aussi un programme destiné à cibler les régions les plus défavorisées car la plupart des régions où il y a le plus de violations des droits humains sont des régions marginalisées par les gouvernements. Le programme de réparation au Pérou a donné la priorité aux régions défavorisées dans la redistribution, mais selon l’expert, le fait de promouvoir des programmes de développement des régions dépend de quel modèle de réparation adopter.

« Durant longtemps, les droits économiques et sociaux, ont souvent été marginalisés au profit des droits civils et politiques ce qui est en mon sens est faux. Les partis politiques doivent être d'accord pour combattre la marginalisation sociale », a affirmé Ruben Carranza.

Ensuite, il a précisé que la récupération des sommes évadées et les utiliser dans le processus de réparation n'est pas chose facile, mais doit être faite. Il a aussi ajouté que l’utilisation de ces sommes pour effectuer la réparation peut aider à l'unification des citoyens d'une même nation car, selon lui, il est difficile d'expliquer l'utilisation de l'argent public pour effectuer la réparation, alors que l'utilisation des sommes évadées peut être mieux acceptée par les citoyens.

En parlant d’une consultation actuelle en Suisse sur le gel des avoirs qui faciliterait la récupération des sommes évadées, l’expert a expliqué qu'une des raisons de la réticence de la Suisse à restituer les sommes évadées réside dans le fait que la Suisse a peur que l'argent évadé issu de la corruption, serve encore une fois à la corruption.

Au tour de l’élue Nabila Askri Snoussi (Nahdha), elle a demandé à l’expert s’il est mieux mieux d'effectuer une réparation sous forme de mensualités ou d’effectuer une réparation en une fois. Elle a aussi demandé s’il est possible de recourir à des prêts étrangers si les caisses de l’Etat ne permettent pas la réparation.

En reprenant la parole, Ruben Carranza a affirmé que le comité de la vérité et de la dignité est le seul habilité à délimiter la durée de son travail, et s’il est judicieux de rallonger, c’est au comité de demander un rallongement. Il a ajouté que le mieux c’est que le comité commence son travail rapidement et sur une courte durée, ce qui lui donnera le caractère urgent dans on travail, et procèdera plus rapidement aux réparations.

Selon l’expert, un Etat tiers ne peut pas forcer un autre Etat en vue de procéder aux réparations parce que l’Etat qui ferait pression devrait peut être lui aussi procéder à des réparations aux citoyens de ce même Etat, en donnant l’exemple du Royaume Uni et du Kenya. Pour ce qui est des donations, un Etat peut avoir un don d'un autre Etat pour procéder aux réparations, mais les Etats donateurs exigent que l'Etat recevant le don contribue aussi au paiement des réparations aux victimes des violations des droits de l'Homme. Il y a aussi la possibilité de transformer une dette en don.

La réunion s’est finalement achevée après 19h. Vous pouvez par ailleurs consulter le projet de loi en question, concernant la justice transitionnelle, en suivant ce lien :

http://www.marsad.tn/fr/docs/51521098b197de3f6a746669