Aux membres de l’Assemblé Nationale Constituante,
Chers représentants du Peuple,
Le 29 Août 2012, Al Bawsala s’est jointe à l'association Nawaat et à quatre citoyens tunisiens appartenant au groupe OpenGovTN pour déposer plainte auprès du Tribunal administratif de Tunis contre l’Assemblée Nationale Constituante en la personne de son représentant légal afin d'exiger l'application effective du principe de transparence.
La plainte, qui vise à rétablir le droit d'accès à l'information et à renforcer le principe démocratique de la participation citoyenne dans la prise de décision, demande la publication de tous les rapports et procès-verbaux ainsi que le détail des votes des élus réalisés depuis l'entrée en fonction de l'ANC. Notre démarche s’appuie sur plusieurs références juridiques nationales et internationales comprenant notamment le règlement intérieur de l’ANC, le décret-loi 41 du 26 Mai 2011 modifié et complété par le décret-loi 54 du 11 juin 2011, la circulaire d’application n°25 du 5 mai 2012, la Déclaration Universelle des Droits de l'Homme (1948), le Pacte international relatifs aux droits civils et politiques (1966), et la résolution 59 de l'Assemblée générale des Nations Unies (1946).
Le décret-loi du 26 mai 2011 définissant les principes qui régissent l’accès aux documents administratifs des organes publics – qu’ils soient produits ou reçus par ces derniers et quels que soient leur date, leur forme et leur support- garantit à toute personne physique ou morale le droit fondamental de libre accès à ces documents en son article 3.
L’Assemblée Nationale Constituante n’est donc pas en droit de déroger à cette exigence qui constitue pour elle un devoir, et pour les citoyens tunisiens un droit fondamental d’accès à l’information.
Le règlement intérieur de l’ANC comporte également plusieurs dispositions relatives à l’exigence de transparence et à la publication de ses travaux. L’article 54 dispose « les réunions des commissions sont publiques. […]La commission publie les dates de ses réunions et son ordre du jour sur le site web de l’assemblée. ». L’article 76 dispose « les séances plénières sont publiques et doivent être rendues publiques par divers moyens, notamment : l’annonce des dates des séances plénières et leur ordre du jour ; l’accueil des citoyens et des journalistes dans les places qui leur sont réservées conformément aux décisions prises par le bureau ; la publication des débats et décisions de l’Assemblée ainsi que les résultats du vote et du scrutin dans le Journal officiel de la République de Tunisie dans son numéro réservé aux délibérations de l’Assemblée Nationale Constituante ; la diffusion radiotélévisée des délibérations des séances plénières ; la publication sur le site web de l’ANC ».
Le décret-loi 54 daté du 11 Juin 2011, et la circulaire d'application N° 25 du 5 Mai 2012 prévoient le droit pour le citoyen de porter plainte devant le Tribunal administratif en cas de violation du droit d'accès aux documents par l'organisme public.
Par ailleurs, le droit d’accès à l’information est considéré comme un corollaire de la liberté d’expression par divers instruments internationaux de premier plan : l’article 19 de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme de 1948 dispose « Tout individu a droit à la liberté d'opinion et d'expression, ce qui implique le droit de ne pas être inquiété pour ses opinions et celui de chercher, de recevoir et de répandre, sans considérations de frontières, les informations et les idées par quelque moyen d'expression que ce soit. » tandis que l’article 19 du pacte international relatif aux droits civils et politiques dispose que "toute personne a droit à la liberté d'expression; ce droit comprend la liberté de rechercher, de recevoir et de répandre des informations et des idées de toute espèce, sans considération de frontières, sous une forme orale, écrite, imprimée ou artistique, ou par tout autre moyen de son choix". De même, la résolution 59 de l'Assemblée générale des Nations unies, en date du 14 décembre 1946, déclare que la liberté de l'information est un droit fondamental de l'homme.
Par cette démarche nous espérions faire réagir le Bureau de l’Assemblée, l’inciter à tenir ses engagements et ceux du Président de l’Assemblée Mustapha Ben Jaâfar pour une plus grande transparence. Notre requête n’a cependant pas trouvé l’écho désiré.
L'ANC a récemment procédé à la publication des rapports des cinq derniers mois. Nous aurions souhaité qu'elle publie l'ensemble des procès-verbaux des commissions.
De fait, les citoyens tunisiens ne sont pas informés de ce qui se dit en leur nom par les membres de l’ANC derrière les portes fermées des commissions; pire encore ils subissent le manque d’information voire la désinformation en l'absence d'une communication efficace de la part de l'ANC. Cela n’est naturellement pas digne de la démocratie que nous aspirons tous à construire et n’augure pas de meilleurs lendemains pour la pratique et l'éthique politiques.
En vous confiant la rédaction de la Constitution et le pouvoir législatif en cette période de transition démocratique, le Peuple tunisien qui vous a investi de cette mission cruciale fonde beaucoup d’espoirs en vous. Vous n’êtes pas en droit de le décevoir. A une heure aussi déterminante pour l’avenir de notre démocratie, il faut rassurer le citoyen et l’impliquer dans les débats de manière continue et sereine. En somme, il faut le tenir informé et lui donner les outils indispensables à une participation plus active.
Chers élus, vous êtes les représentants du peuple et vous êtes le fruit d’une Révolution populaire. Agissez en conséquence, informez vos concitoyens, révolutionnez vos méthodes, et optez pour des pratiques fidèles à l’esprit démocratique et à la transparence. Il ne s'agit pas d'accorder une faveur aux citoyens tunisiens mais de tenir fermement vos engagements. Nous vous appelons à prendre toute la mesure de votre responsabilité morale et politique. Nous n’attendons plus une réaction du Bureau de l’Assemblée mais nous comptons désormais sur la contribution individuelle de chaque député dans la promotion de la transparence au sein de l’ANC. Transmettez-nous les procès verbaux, nous les publierons pour vous.
Nous vous demandons, Mesdames, Messieurs les député(e)s, au nom de la souveraineté populaire, au nom des principes démocratiques et de la transparence et par respect du peuple qui vous a tous élu, d'abandonner les pratiques opaques et de bien vouloir prendre en considération nos demandes.
La présidente
Amira Yahyaoui